Gouvernance des établissements scolaires : la société civile au chevet des Apee.

Dans le cadre de notre dossier sur le transfert des compétences aux Conseils Régionaux en matière d’Enseignement Secondaire, nous avons traité dans les 2 précédents articles des nouvelles dynamiques de pouvoirs qui se mettent en place au sein des structures scolaires et du détournement du volontarisme parental au sein des Associations des parents d’élèves et d’enseignants. Afin de contribuer à améliorer la gouvernance au sein de ces associations, des Organisations de la Société Civile développent depuis une vingtaine d’années déjà, des actions de formation, de structuration et d’accompagnement de proximité en faveur des Apee et des responsables scolaires. Pour quel résultat et pour quel changement?

La Région de l’Ouest est l’une de celles dans lesquelles la problématique des Apee se pose avec plus d’acuité au Cameroun. Et pour cause ! Avec la réduction du financement public de l’éducation qui s’amenuise comme une peau de chagrin depuis les années 90 (environ 11 % du budget de l’État au lieu des 20% requis au niveau mondial), les parents d’élèves regroupés au sein de ces associations, ont été obligés de se mobiliser pour accompagner l’État, voire se substituer à lui dans l’une de ses missions régaliennes, celle d’assurer à la jeunesse une offre en éducation et en formation en quantité suffisante, mais surtout de qualité. Dans une étude sur le financement de l’éducation au Cameroun menée par l’ONAPED en 2021 à partir de l’analyse des budgets annuels de quelques établissements secondaires dans la Mifi, les données suivantes ont été mises en évidence. Pour un établissement secondaire général de 1000 élèves, la subvention de l’État était de 1.400 000 FCFA pour un budget total de 29. 841 000 FCFA, soit 4,69 % ; pour un établissement secondaire technique de 3 300 élèves, la subvention de l’État était de 8. 560 000 FCFA pour un budget total de 135. 312 400 FCFA, soit 6,32 %. Le gap est comblé bien entendu par les parents d’élèves. Ainsi, sur une période de 10 ans, les frais payés à l’Apee par les parents d’élèves au titre des contributions « volontaires » devenues obligatoires ont été multipliés par 2, voire par 3, 4 ou 5, passant de moins de 10 000 CFA dans de nombreuses structures scolaires secondaires à au moins 25 000 FCFA avec la bénédiction du MINESEC qui, il ya trois ans, avait cru devoir s’immiscer dans le fonctionnement de ces associations pourtant régies par la loi N°90/053 sur la liberté d’association, en fixant d’autorité le montant des frais d’Apee. On se rappelle pourtant que jusqu’en 2008-2009, les frais d’Apee étaient encore de 2000 FCFA au Lycée classique de Bafoussam par exemple ! Comme nous l’avons dit dans l’article précédent, cette augmentation exponentielle des ressources générées par les Apee a été un appel d’air pour des « voleurs en col blanc » qui ont vite fait de s’engouffrer dans la nouvelle niche financière ainsi créée et d’y faire durablement leur lit. Une sorte de ruche où viennent se servir à pleines mains, des personnalités au dessus de tout soupçon, au détriment de l’école et des parents d’élèves.

Les Apee : une solution ou un problème ?

Si dans la configuration déficitaire actuelle du financement de l’éducation au Cameroun les Apee semblent être des palliatifs indispensables au fonctionnement des structures scolaires primaires et secondaires publiques, il n’en demeure pas moins qu’à l’analyse, leur fonctionnement laisse plutôt à désirer : détournements de fonds, opacité dans la gestion, déficit de démocratie interne, efficience questionnable, structuration insuffisante, immixtion des autorités dans la gestion, confiscation des Apee par les autorités administratives, conflits de compétences dû au bicéphalisme à la tête des établissements scolaires (chef d’établissement-président d’Apee), etc., sont autant de dysfonctionnements auxquels les Organisations de la Société Civile (OSC) ont essayé de s’attaquer avec des fortunes diverses.

C’est depuis 2004 en effet que les premières initiatives ont vu le jour à Bafoussam avec la création de l’Organisation Nationale des Parents pour la Promotion de l’Éducation au Cameroun(ONAPED). La participation de celle-ci au congrès de la Fédération Africaine des Parents d’Élèves tenu à Brazzaville au Congo en 2005 avait permis à la jeune association de s’enrichir de l’expérience des autres regroupements de parents d’élèves en Afrique et de se positionner en leader sur cette thématique dans la province de l’Ouest d’alors, à travers de nombreuses formations organisées au bénéfice des responsables des Apee. Zenü Network a également pris toute sa place dans ce vaste chantier depuis 2009. Une initiative qui a culminé en 2018 avec la publication du « Guide de gestion comptable, budgétaire et administrative des Apee ». Un référentiel de renforcement des capacités des responsables des Apee et de leurs membres qui fait autorité aujourd’hui en matière de pilotage de ces associations.

Au vue des nombreux problèmes identifiés dans ce segment de la communauté éducative, la société civile a compris qu’il fallait ratisser large et mutualiser ses ressources et ses efforts. C’est pourquoi d’autres associations se sont également mobilisées au chevet du grand malade, soit individuellement, soit en réseau. Dans le cadre des projets « PJCC », « PECAC » et « CITIZENSCHOOL » mis en œuvre par Zenü Network, de nouveaux acteurs sont entrés en jeu notamment à l’Ouest et dans le Centre où des plateformes d’Apee ont été mises sur pied dans les départements de la Mifi, du Noun, du Koung Khi, du Mfoundi… Ce sont entre autres, Apader dans le Ndé, Ysda dans la menoua, Kfa dans les Bamboutos, LCDH dans le Haut Nkam, Humanees dans le Mfoundi.

Un accompagnement des Apee, mais pour quels changements ?

Session de formation multi acteurs animée par ONAPED à Foumban en présence du DDES Noun (2021)

Si en termes de résultats et d’effets l’accompagnement des Apee par les OSC est bien perceptible et visible sur le terrain (de nombreux responsables d’Apee, des chefs d’établissement et des agents financiers formés, quelques plateformes mises sur pied, un référentiel de formation publié, la culture de l’alternance au sein des bureaux exécutifs des Apee progressivement acquise…), force est cependant de constater que les changements structurels et de comportement tardent à s’ancrer durablement dans les pratiques quotidiennes de management et de gestion des Apee. En effet, ces associations restent volatiles et fragiles du fait de leur non existence légale et institutionnelle au sein des établissements scolaires. Selon une enquête que nous avons menées dans les 8 départements de l’Ouest en 2021, 2/5è seulement des Apee ont un récépissé de déclaration ; presque toutes n’ont pas de bureaux physiques au sein des structures scolaires dont elles sont paradoxalement des bailleurs de fonds. Sur le plan stratégique, aucune Apee ni plateforme ne s’est jamais prononcée sur les problématiques qui touchent à l’éducation des élèves (scandale au concours d’entrée en 6è dans le département de la Mifi en 2022, corruption en milieu scolaire, dysfonctionnements survenus dans la gestion des examens officiels il ya 3 ans, revendications corporatistes des enseignants avec pour corollaire les sanctions qui ont frappé certains, vente et consommation des drogues en milieu scolaire, indiscipline et violence sur les campus scolaire, déficit en personnels enseignant et d’encadrement, baisse du financement public de l’éducation, mutations et nominations tardives qui perturbent le fonctionnement des structures scolaires, …).

Il va donc sans dire qu’avec le transfert des compétences en matière d’Enseignement Secondaire aux Conseils Régionaux, il reste assez de pain sur la planche pour les OSC qui devront inventer de nouvelles stratégies d’accompagnement de ce nouvel acteur de la communauté éducative qu’est la Région dans l’accomplissement de ses missions.

22 février 2024

Augustin Ntchamande

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